L'instigateur des transcourants au PS s'adresse à François Hollande
Souviens-toi, François!
par Jean-Pierre Mignard
Ce proche de Ségolène Royal, instigateur des transcourants qui, dans les années 1980, voulaient - déjà ! - rénover la gauche, rappelle à François Hollande leurs engagements de jeunesse.
Notre objectif était simple: reforger nos convictions devant la débâcle idéologique d'un socialisme dirigiste, prémunir la gauche du cortège des petits arrangements qui suivent l'inhumation des idéologies défaites. Puisque l'anticapitalisme dogmatique se révélait impuissant à changer l'ordre des choses, il fallait se ressourcer auprès de la société en mouvement et conjurer ainsi le spectre de la SFIO. Notre devise était peut-être simple, mais elle tenait à cela: comme Barrès pour la terre, nous affirmions «la société ne ment pas». Si l'on y rajoutait la méthode de «la démocratie jusqu'au bout», définition lumineuse du socialisme de Jaurès, nous étions, je crois, en avance. Nous voulions amortir le choc de la mondialisation naissante, recoudre le tissu social déchiré entre les exclus et les secteurs d'élite. Dans «La gauche bouge», publié en 1985 sous le pseudonyme riche d'équivoques de Jean-François Trans, Jean-Michel Gaillard, que nous pleurerons en 2005, intitulait son chapitre «La puce et les Minguettes». Les Minguettes étaient le Clichy-sous-Bois de la France de 1985. Qu'il met parfois du temps, ce pays, à se réveiller quand personne ne lui ouvre les yeux! Quelle avarice de courage politique face à cette Marche des Beurs de 1983 dont le sens fut occulté avec application! La facture a été présentée en novembre 2005, avec les pénalités de retard en sus. Nous critiquions déjà la facilité de croire que la gauche pourrait l'emporter sans projet, par un simple effet de ressac.
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Nous n'étions pas obsédés par l'impôt et nous prenions acte des nouveaux modes de vie. François Hollande suggérait avec une belle et juste audace d'appliquer aux héritiers choisis le même régime fiscal que celui des ayants droit protégés, bousculant ainsi la doxa fiscale et par-dessus le marché la doxa familiale. Nous souhaitions un Parti socialiste européen élu au suffrage de ses millions d'adhérents et des listes transnationales au Parlement européen. Nous étions, au fond, fédéralistes pour que l'Europe participe efficacement à l'ordre du monde. Souviens-t'en, Jean-Pierre. Nous étions même, en dernier ressort, pour les petits boulots. Ce n'est pas ce que nous avons fait de mieux, mais au moins n'élevions-nous pas de digues de pureté réthorique contre la crue débordante du chômage. Nous débattions avec tout l'arc-en-ciel syndical comme avec les jeunes dirigeants d'entreprise. Nous ne confondions pas la rente ou la voracité de l'actionnariat et le risque d'entreprendre. Nous tentions de nous extraire de cette ambivalence des pensées ou des sentiments, cette conduite paradoxale, cette perte du contact avec le réel, bref, cette schizophrénie qui est la marque des derniers partis du socialisme industriel finissant.
Pour se protéger de la tentation, si facile, si alléchante, de tout jeter par-dessus bord quand la boussole s'affole, nous avions projeté d'immerger le parti dans la société, de le nourrir de ses organismes vivants, un parti aux frontières aisément franchissables. Mieux que la carte d'adhérent à 20 euros, nous avions lancé l'idée des primaires sous la plume de François Hollande. La référence au Parti démocrate américain ne nous faisait pas peur. Outre que nous y voyions l'occasion d'associer nos électeurs à la désignation du candidat, nous tenions que c'était le plus sûr des codes de bonne conduite pour la sélection des candidats. Prémonitoire... La démocratie participative, mais peu importe le nom, cette fulgurance de la campagne de Ségolène Royal, est redevable à tout cela, aux primaires américaines, aux forums de Porto Alegre, aux conclaves de la deuxième gauche, à nos universités d'été de Lorient. La germination d'une bonne idée est multiple. Nous esquissions, peut-être même sans le savoir, ce monde cosmopolite, décrit par Ulrich Beck, qui abolit les anciennes distinctions devenues invalides entre le dedans et le dehors, le national et l'international, nous et les autres.
Je n'oublie pas ces discussions toujours libres, sans souci de complaire, sur les communautés et le communautarisme, l'écologie et le nouveau modèle économique, les relations avec le centre déjà, ces traits d'union constants entre hier et aujourd'hui. Mais quand on relit les notes, le foisonnement des thèmes, au-delà de l'amitié vivace, le chagrin des visages disparus, l'amertume des séparations politiques, on découvre soudain que ce ne sont ni la lucidité ni la vision qui ont fait défaut pour reconfigurer en vingt ans le corps de références de la gauche. Tout était là. Mais la connaissance est un antidote bien inoffensif contre le poison lent du conformisme de la pensée et la lourdeur des positions installées. Ce sont le courage et la volonté qui ont fait défaut. C'est la modeste leçon que je livre à ceux qu'intéresse l'avenir du Parti socialiste, figure majeure de la démocratie française.
Le Nouvel Observateur, n°2228, semaine du 19 juillet 2007